Le Chaco paraguayen sous les eaux, nous fîmes route vers le Chaco bolivien, nous soumettant au passage à une flopée de contrôles, autant dus à l’important trafic de stupéfiants entre les deux pays qu’à l’héritage de leur histoire mouvementée. Un pneu crevé plus tard, nous arrivâmes à Santa Cruz, dans la plaine de l’Oriente…

Santa Cruz est la capitale économique du pays, ainsi que la plus peuplée de ses villes avec 2 millions d’habitants. Elle n’est pas conforme à l’idée que l’on se fait du pays : chaleur tropicale, voitures de luxe, une région prospère grâce au gaz et au pétrole qui veut faire sécession ; une Flandre bolivienne en somme ! Nous limitâmes nos visites au centre historique, sa jolie cathédrale, ses arcades coloniales sous lesquelles il fait bon se réfugier en cas de chaleur intense ou de pluie torrentielle et son minuscule quartier d’artistes, la Manzana Uno et ses expositions photo sur la vie des tribus d’Amazonie. Nous étions logés dans une superbe auberge, vieille demeure bourgeoise noyée dans une végétation luxuriante, habitée par un superbe toucan domestique !

Nous goûtâmes également avec joie les plaisirs de la nuit, en compagnie de Philippe et Clément, deux Français en vadrouille dans le coin. Le croiriez-vous ? En grands voyageurs devant l’éternel, c’est à l’Alliance franco-allemande que nous passâmes la soirée à déguster les spécialités européennes, avant de terminer la soirée dans une boîte locale avec les Cambas, les habitants de Santa Cruz.

A peine remis de notre resaca, nous embarquons pour 20h de bus, dont la moitié sur une piste. Destination Sucre ! La capitale constitutionnelle de Bolivie. Dans les faits, toutes les institutions sont à La Paz, mais depuis l’arrivée au pouvoir du président socialiste aymara Evo Morales, elle incarne, avec Santa Cruz, l’opposition au gouvernement. Ces considérations idéologiques mises à part, Sucre est aussi la capitale du baroque de toute l’Amérique du Sud ! A 2750m d’altitude, sa blancheur éclatante réchauffe l’air ambiant : universités, églises tarabiscotées, dont la cathédrale qui contient la Virgen de Guadalupe, tableau paré de plus de 12000 pierres précieuses que l’on parle parfois de vendre pour solder les dettes boliviennes !

Sucre tient une place prépondérante dans l’histoire de la Bolivie : en août 1825, c’est ici que fut proclamée l’indépendance du pays, après la victoire du maréchal éponyme à Ayacucho, un an plus tôt. On put donc y admirer les témoignages de cette époque, dont la Constitution francophile écrite par Bolivar, qui ne fut jamais appliquée. Enfin, Sucre comporte quelques musées d’exception, renfermant de précieuses collections d’art colonial, ainsi que des artéfacts anthropologiques des différentes cultures indigènes qui se sont succédées dans la région. Une bien belle étape, au coeur de la Bolivie !

A 4090m d’altitude, nous rejoignîmes ensuite la ville de 100 000 habitants la plus haute du monde : Potosí. Seule cité impériale du continent, par décret de Charles V, elle fut à l’origine de la richesse de l’Espagne coloniale, ainsi que responsable de l’apparition du capitalisme : l’exploitation du Cerro Rico, la mine d’argent la plus prolifique de l’histoire, provoqua une injection de liquidités de plus de 50 milliards de dollars actuels sur le marché européen. Et accessoirement le génocide de 6 millions d’Indiens et d’esclaves africains contraints d’y travailler. Ainsi, Potosí est un paradis architectural qui n’a rien à envier à Sucre, et simultanément un enfer pour les mineurs qui continuent d’y oeuvrer. Un Germinal moderne : paiement à la quantité de minerai, pas de protection sociale, une espérance de vie de 45 ans.

Nous commençâmes notre exploration par la découverte des trésors coloniaux de la cité : nombreuses églises baroques, couvent carmélite richement décoré et préservé, et surtout maison de la monnaie, édifice civil le plus important du continent : c’est ici que le royaume d’Espagne, puis la Bolivie battirent monnaie jusqu’en 1869 (aujourd’hui, les billets boliviens sont imprimés… en France !). Machines antiques, pièces d’époque, un régal !

Vint ensuite l’exploration de la mine avec Carlos, mineur, guide et taxi de son état. Nous débutons l’itinéraire par le marché des mineurs, où Carlos nous apprend à mâcher la coca selon le rite (et pas comme des vaches, ce que nous faisions depuis deux jours pour nous soustraire aux effets de l’altitude). Il nous enseigne le partage avec la Pachamama, la Terre Mère, le maniement de la dynamite, ainsi que toutes les moeurs de la mine. Nous achetons des rafraîchissements, de la coca, de l’alcool à 96° (la gnole du mineur) à partager avec eux. Nous descendons ensuite dans la mine, dont les galeries sont sommairement étayées. Les mineurs extraient à la main, manient les wagonnets de plusieurs tonnes et respirent des gaz et de la poussière toute la journée. Interdiction de manger dans la mine, même si l’on y travaille pendant 24h. Seules la coca et les boissons sont autorisées. Interdiction de faire référence à Dieu, qui règne à la surface. Sous la terre, ce sont les tios, allégories du diable, qui protègent les travailleurs. On leur offre à boire, à mâcher et à fumer pour s’attirer leurs bonnes grâces. Les mineurs supportent de telles conditions de travail en buvant toute la journée, et en croyant au mythe selon lequel un mineur peut devenir millionnaire du jour au lendemain… Un tragique loto, en somme… Après 3h sous terre, nous étions soulagés de revoir la lumière du jour ; il est difficile d’imaginer ce qu’ils ressentent…