Après moult tergiversations, nous avions finalement décidé d’intégrer à notre programme le Cambodge ; notre visa thaïlandais expirant en effet 3 jours avant notre départ effectif du pays, il nous fallait le renouveler en sortant du territoire ; et plutôt que d’opter pour une excursion à la journée en Birmanie, 3 jours pour découvrir les temples d’Angkor nous ont semblé plus intéressants… à juste titre !

Ce fut un séjour inoubliable à plus d’un titre. Dès le passage de la frontière, le ton était donné : Mathieu est le premier à sortir de Thaïlande et cherche dans son sac les e-visas pour le Cambodge que nous avions imprimés au préalable. Nous le rejoignons, et l’inquiétude monte : le visa de Nicolas a disparu… Tiens, tiens, le seul moment où nous avions laissé nos sacs sans surveillance, avec les e-visas, c’était dans l’auberge de Khao Yai, dont nous avions décliné le trek payant… Bizarre. Bref, là n’est plus notre problème, il nous faut trouver un moyen pour que Nicolas puisse quand même passer la frontière, d’autant que nous souhaitions gagner Siem Reap, à 3 heures de là, dans la foulée. Nous foulons le territoire qui sépare les deux pays : des casinos partout, qui attirent les Thaïlandais en masse puisque ces établissements sont interdits chez eux et là, une idée germe dans l’esprit d’Aude : et si nous tentions de faire imprimer le e-visa dans un des casinos ? Après une tentative infructueuse, le gérant d’un autre établissement nous prend en pitié et accède à notre demande… Oufff !

Mais nous n’étions pas au bout de nos peines, loin s’en faut… A peine arrivés au Cambodge, nous sommes repérés. Un local nous suit et nous incite à prendre son taxi pour gagner Siem Reap. Prévenus par le Lonely Planet de l’omnipotence de la mafia locale sur les transports, nous suivons les conseils du guide qui nous incite à rechercher les taxis indépendants 2 km plus loin. Mais l’homme nous suit, bientôt rejoints par d’autres. Nous trouvons les taxis indépendants, la négociation sur le prix s’engage, mais dès l’arrivée des mafieux, les conducteurs de taxis se taisent. Un faux policier arrive, nous informant que les taxis présents sont illégaux… La tension monte, nous essayons de nous éloigner, un des conducteurs de taxis qui nous semble honnête s’arrête à notre hauteur, nous recommençons à négocier, tombons d’accord, mais les mafieux reviennent à la charge… Nous enjoignons au conducteur  de partir immédiatement, mais ce dernier prend le numéro de téléphone du mafieux et nous dit qu’il lui faut prendre un autre passager. Nous retournons ainsi vers la frontière, le téléphone sonne, le conducteur décroche… 

C’en est trop, nous lui demandons de s’arrêter, sortons et décidons d’arrêter là les frais : nous prendrons le bus le lendemain ; certes nous perdrons une demi-journée à Angkor, mais l’option nous paraît plus sûre. Heureusement, nous avions semé les mafieux en montant dans le taxi, nous galérons un peu pour trouver l’hôtel recommandé par le Lonely, mais nous y parvenons enfin. Nous sommes un peu échaudés et passons la soirée dans le hall de l’hôtel, à manger une soupe de pâtes. Nous tombons d’accord sur le fait que les passages de frontière sont vraiment les expériences les plus délicates d’un tour du monde !

C’est presque la fin des galères ! Lever à 5h30 le lendemain dans l’espoir de trouver un ticket de bus dans une agence non mafieuse pour le bus de 6h. Nous trouvons l’agence non mafieuse, mais le bus est à 8h30… Voilà l’occasion de tester le café cambodgien… Miracle, c’est le même qu’au Vietnam ! Cette journée commence bien ! Trajet sans difficulté jusqu’à Siem Reap, le bus nous arrête même en ville, l’auberge conseillée est juste à côté. Il n’y a plus de place mais le gérant nous amène dans l’hôtel d’un de ces amis, moins cher et tout aussi confortable. Parfait !

Location de vélos, et départ pour le site d’Angkor, à 6 km de la ville. Mince, les billets ne se vendent pas à l’entrée… Logique ! Nous retournons à l’autre bout de la ville, et ça y est, pour la modique somme de 40$, nous détenons le sésame pour 3 jours de découverte de l’un des plus prestigieux complexes religieux du monde. Retour sur nos pas et arrivée devant le bâtiment le plus grand du site d’Angkor : Angkor Wat… Nous y sommes enfin, l’émotion nous gagne et… il est en plein ravalement de façade ! D’énormes bâches vertes masquent une grande partie de l’édifice, mais avec un peu d’astuce, rien n’y paraît !

Si les vues d’ensemble sont gâchées, l’intérieur reste à la hauteur de la légende : une allée monumentale mène à la première galerie, décorée de splendides fresques narrant des combats mythiques ; on passe ensuite trois enceintes avant de parvenir au sanctuaire central et à ses fameuses tours en forme de lotus. L’ensemble est magnifiquement conservé et pour cause, le temple n’a cessé d’être fréquenté et entretenu depuis sa création, au XIIème siècle. La montée au prasat (tour) central est très raide et émouvante. D’en haut, on domine tout le site alors que le soleil rougeoyant descend sur l’horizon. Nous assistons au coucher « accompagnés » par les macaques résidents à la recherche de nourriture.

Le lendemain, petite boucle de 24 km sur nos machines grinçantes et cliquetantes (sans vitesse) ; nous commençons par découvrir le temple de Ta Prohm, sorti tout droit d’Indiana Jones avec ses arbres centenaires qui ont poussé sur la structure du temple et la jungle qui envahit les pièces et disloque murs et galeries. C’est beau ! Il fait une chaleur torride et le chant assourdissant des cigales locales (imaginez une sirène) nous vrille les tympans. Ce n’est rien hélas, en comparaison de la tristesse qui nous saisit lorsque nous sommes harcelés par des enfants sommés de nous vendre tout et n’importe quoi ; tristesse qui devient colère lorsque nous remarquons que la plupart des gens cèdent à ce chantage, encourageant ainsi le trafic. 24000 enfants sont exploités au Cambodge, nous en avons eu un aperçu douloureux. 

Nous entrons ensuite dans la ville fortifiée d’Angkor Thom par la monumentale porte de la victoire, ses dieux, démons et faces de pierre du boddhisattva de la compassion dévisageant les quatre points cardinaux. Quelle fluidité, quelle puissance ! Et quel choc lorsque nous débouchons perpendiculairement aux 350m de la terrasse des éléphants et ses bas reliefs : une confirmation de l’extravagance du culte voué au « Roi Dieu » par la civilisation khmère qui sera confirmée par le clou de la cité : la pyramide du Bayon, ses kilomètres de bas reliefs déflorant le secret du mode de vie des Khmers au XII^ème siècle et surtout ses 216 visages de Jayavarman VII, génial roi mégalo architecte de la cité. Le Baphuon, gigantesque temple puzzle entièrement rebâti par les Français après que les Khmers rouges en aient détruits les plans, vient clôturer cette journée avec son bouddha couché de 60m. Elle restera gravée dans nos mémoires pour longtemps !

Pour notre dernier jour sur le site, nous nous étions réservés la grande boucle : 32 km, au bas mot. Nous ne croisons plus que des Cambodgiens à vélo ! Très longue balade jusqu’au Neak Pean dont les pièces d’eau sont malheureusement inaccessibles ; le Preah Khan est immense, empli de petites curiosités, théâtre d’un affrontement de pierre entre Vishnu et Bouddha selon le bon vouloir du roi. Nous grimpons au sommet du Baphuon avant de sortir de la cité et de monter au Phnom Bakheng, qui offre une vue prisée sur Angkor Wat. Sans intérêt, mais le panorama sur le lac Tonlé Sap et le spectacle des éléphants gravissant allègrement la côte justifient le détour !

Après une dernière soirée passée à déambuler dans les allées du marché de nuit, il était temps de nous en retourner vers la Thaïlande et sa capitale, la bouillonnante Bangkok !